Chroniques de Covenant - Stephen Donaldson - Fantasy [12]

Stephen R. Donaldson – Les Chroniques de Thomas Covenant – La Malédiction du Rogue
« L’Anneau Unique »

Sortie: 1977
Editeur: Ballantine Books


Style: 14/20

A mi-chemin entre une écriture facile et souple axée sur les dialogues et les répliques entre protagonistes et une écriture plus laborieuse et plus ampoulée qui laisse plus de place à la description, Donaldson ne parvient pas vraiment à nous faire décoller dans l’univers qu’il crée. Il alterne des descriptions longues et laborieuses à des moments qui ne s’y prêtent pas nécessairement (alors que de simples phrases précises et concises auraient largement suffit) avec des carences à certains moments. Ce qui nous offre malheureusement des décors et des environnements juste esquissés. A d’autres moments, il nous propose des conversations souvent inutilement longues et qui n’amènent vraisemblablement pas d’eau au moulin (on citera à cet exemple les monologues particulièrement pénibles du géant Suilécume) alors que des dialogues plus pointus suffisaient amplement. Un problème de justesse et de longueur une fois de plus.

Par contre, et il est judicieux de le souligner, on remarque la maîtrise de l’auteur sur tout ce qui touche à la lèpre, maladie encore mal connue dans nos pays occidentalisés. Sa plume parvient à nous dépeindre à merveille la maladie qui ronge Thomas, comment cela influe sur lui, sur ses sens et sur ses choix et comment, une fois plongé dans le Fief, il fera pour gérer nombre de paradoxes.

Personnages: 14/20

Il est vrai que le personnage de Thomas Covenant, le seul à être réellement intéressant dans ce tome, s’écarte des sentiers battus. Il est faible, égocentrique, lâche et irascible, voire même parfois violent. Et ce sont ces défauts qui confèrent, contrairement à nombre de récits qui voient leur protagoniste comme un homme courageux et valeureux amené à se bonifier au fil des pages, une véritable personnalité au personnage. Sans toutefois aller jusqu’à s’identifier à lui car dans les premières pages, il est loin d’être attachant, Thomas Covenant est le personnage du héros auquel le lecteur s’apparente le plus et il est intéressant de voir comment ce dernier évolue dans un monde étrange, puisque si on y songe une minute, on pourrait bien agir de la sorte.

Le problème, c’est que l’auteur ne va pas assez loin dans son développement. A l’heure où les anti-héros sont si appréciables par leur cynisme et leur humour caustique, on peut regretter que le personnage de Thomas Covenant ne soit pas plus « noir ». Avec une vision et un langage plus acide et dédaigneux vis-à-vis du monde dans lequel il a échoué et des gens qui le peuplent. De cette manière, son évolution et sa personnalité n’en seraient que plus complexes et fatalement plus humaines. A certains moments du récit, on le voit devenir plus timoré, plus conventionnel alors qu’aucun événement ne justifie cela, surtout que les choses deviennent de plus en plus noires à mesure que les pages tournent. Il est vraiment dommage de ne pas aller jusqu’au bout de ses idées.

Par contre, pour ceux qui apprécient les personnages secondaires, ils n’auront pas grand-chose à se mettre sous la dent, notamment dans ce premier tome. Le géant Suilécume est inintéressant et rébarbatif, les Seigneurs manquent tous de charisme (la même chose pouvant être reprochée à Sialon Larvae, l’ennemi de ce tome, qui est finalement insignifiant), seuls finalement les habitants de Mithil-Stélage (la fille et sa mère notamment) proposent des personnalités un tant soi peu complexes.

Scénario: 10/20

Encore une fois, comme il en devient presque une règle tacite en ce qui concerne la high-fantasy, la structure de la narration du Seigneur des Anneaux est reprise. Le héros est chargé d'une quête dans un monde qu'il ne connaît pas, il doit pour cela rejoindre le Conseil des hauts seigneurs (Fondcombe). Là après une délibération de ces derniers (Conseil d'Elrond), il va prendre la décision de se jeter dans la gueule du loup (Mordor) accompagné par une compagnie de hauts personnages (Compagnie de l'Anneau, seul moyen sensé pouvant mettre fin au conflit. On est alors en droit de se dire que le déroulement des événements tel que celui imaginé par Tolkien quelques dizaines d'années plus tôt est sans conteste un des plus réussis en matière de high-fantasy, voire de fantasy tout court et on pourrait excuser Donaldson de s'en être puissamment inspiré, tout comme nombre d'auteurs avant lui et notamment Robert Jordan. Le problème c’est que dans la Malédiction du Rogue, beaucoup trop de coïncidences sont présentes pour qu'on s'arrête à la conclusion qu'il ne s'agit que d'inspiration. A l'instar du Seigneur des Anneaux, l'ennemi se manifeste indirectement sous la forme d'un cercle rouge, l'artefact du héros est également un anneau magique, ce même héros essuie lui aussi une puissante tornade provoquée dans les montagnes, il est amené par un allié à mi-parcours de sa quête dans une place-forte d'un autre temps alors qu'il est épuisé, il forme une expédition, secondé par un vieil homme sage au bâton, pour prendre l'ennemi au dépourvu, qui lui habite aussi près d'une montagne, …

Quelques points intéressants sont toutefois à noter au niveau de l’événement déclencheur (même si la ficelle a déjà été utilisée dans d’autres récits), des espèces qui servent directement l’ennemi, un final qui amène enfin un peu d’action et de page-turning à la narration, des lieux typiques et des liens directs à la Terre, qui est vue comme une matrice-mère. Un peu court pour réellement révolutionner le genre, ou tout juste le rendre palpitant.

Note Générale: 12/20

Malgré un parallèle entre le monde de Thomas et celui du Fief et un choc des cultures qui s’annonçait prometteur, la suite des événements ne nous propose rien de plus original qu’une copie, péripéties et artefacts compris, du Seigneur des Anneaux, pourtant déjà maintes fois repris. Et même si les traits originaux de l’œuvre proposent quelque chose de différent, on reste au final sur sa faim. Seul finalement vient s’imposer Thomas Covenant, lépreux sceptique et irascible, projeté dans un monde qui défie toutes les lois qui règnent dans le sien. Véritable moteur du récit, il véhicule une image d’anti-héros qui plaira sans nul doute aux blasés de la high fantasy traditionnelle et de ses jeunes bergers/forgerons promus à un destin illustre. Dommage toutefois que ses traits ne soient pas plus accentués dans l’amertume et la noirceur et que sa bonification s’amorce aussi vite. Dommage aussi que les personnages qui l’entourent manquent cruellement de charisme et ne lui permettent pas de donner pleine mesure à son talent.

Jaquette: 16/20

L’ombre de Thomas sur les lieux qu’il va traverser, c’est joli. Sobre mais terriblement efficace.