Délivrance - James Dickey - Thriller [17]

James Dickey - Délivrance
"Délivrés?"

Sortie: 1970
Editeur: Houghton Miffin

Style : 17/20

Une écriture qui emmène facilement le lecteur dans les lieux voulus, à savoir l’Amérique profonde, chaude et ensoleillée, avec son lot de quidams atypiques. Une plume agréable et fouillé qui dans un premier temps nous pose une atmosphère tout ce qu’il y a de plus radieux sans toutefois l’être entièrement car certains passages peuvent annoncer, en filigrane, le caractère inquiétant du récit. Le caractère familier, voire cru, par lequel l’auteur décrit les événements ou les dialogues colle parfaitement à l’ambiance détendue et entre-amis qui domine dans les premières pages du récit. Mais, par la suite, ce caractère inquiétant, voire malsain, va prendre le dessus sans pour autant que les événements le justifient (notamment la nuit où Ed est dérangé par un simple oiseau nocturne) pour finalement basculer littéralement le récit dans un thriller angoissant où tout peut arriver. Et si finalement tout n’arrive pas au moment où on le souhaite ou n’arrive tout simplement pas, l’écriture est si soutenue et si bien amenée dans le déroulement des événements qu’elle laisse le lecteur sous tension.

Personnages : 16/20

Ce qu’il y a de bien dans la conception des personnages, et particulièrement du héros Ed, c’est qu’il pourrait s’agir de vous et moi. C’est-à-dire que, Lewis mis à part, ils ne sont rien de plus que des monsieur-tout-le-monde. Envoyés à l'aventure autant pour faire plaisir à ce dernier que pour sortir du train-train quotidien, notre trio d'aventuriers en herbe est tout ce qu'il y a de plus authentique ; Drew est un homme simple qui aime la musique, Bobby apprécie la vie urbaine et accepte cette idée de randonnée qu'à contrecœur et Ed, bien qu’il pratique certains sports comme le tir à l’arc, n’a aucune prédisposition particulière et préférerait sans doute passer son dimanche près de sa femme et de son gosse plutôt que de se lancer dans pareille escapade. Ce sera leur confrontation au monde extérieur qui apportera la pleine mesure à leurs jeux scéniques respectifs, permettant à l’auteur d’exploiter avec maîtrise les réactions que l’être humain peut être amené à avoir dans des cas semblables et ainsi à les confronter aux conséquences qui en découlent. Et même le puissant Lewis ne sortira pas indemne de ce choc. La scène de conscience devant l’homme tué afin de savoir s’ils doivent prévenir la police ou bien alors le faire disparaître illustre bien ces choix face à des éléments inattendus et exceptionnels.

Mais la palme des personnages en or est à décerner aux deux autochtones qui sont carrément aux antipodes de notre quatuor urbain mais qui, surtout, sont entourés de mystère. « D’où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? » sont tant de questions auquel on ne peut malheureusement pas apporter de réponses, nous laissant dans un flou inquiétant qui sert parfaitement le récit. Cette même incertitude est également exploitée quand nos protagonistes sortent enfin de la rivière et sont confrontés au monde extérieur. En effet, ils ne savent pas qui ils ont réellement tué, qui les ont réellement attaqués et comment ils pourront vivre avec ces événements dans la tête à jamais.

Scénario : 16/20

Un thème intéressant à exploiter, une randonnée entre amis qui tourne au cauchemar mais qui n’est certes pas très original. Cependant, là où l’ingéniosité de l’écrivain prend le dessus, c’est dans sa façon de nous montrer qu’à partir de simples coïncidences, les péripéties qui en découlent peuvent être lourdes de conséquences. Mais, ce qui est encore plus intéressant, c’est de voir à quel point l’être humain, dans des circonstances particulières, ici menacé par une nature hostile et des individus louches, peut être amené à réagir et, notamment, à retomber dans l’instinct animal le plus primaire qui soit. L’auteur souligne également d’autres thèmes au gros feutre : la supériorité de la nature sur l'homme malgré le désir de celui-ci de la dominer, les pulsions bestiales qui se cachent dans tout être humain et qui peuvent aussi bien se retourner contre l’ennemi que sur soi-même ou ses amis, les ressources de l'homme face aux situations difficiles mais aussi la lâcheté, la faiblesse d’esprit, le manque de volonté et encore la dichotomie entre l’homme citadin et l’homme de la campagne. Impossible de ne pas voir dans ce roman une remise en question du mythe du bon sauvage de Rousseau.

Note Générale : 17/20

Avec un point de départ suffisamment anodin et suffisamment paisible pour que le lecteur puisse d’emblée s’identifier aux protagonistes, James Dickey donne tout son sens au mot « événement déclencheur. » Il nous montre qu’à partir d’un simple hasard malchanceux, ce qui devait être un moment de détente entre amis peut totalement chavirer dans la paranoïa la plus totale où l’être humain retrouve ses instincts et revient au besoin le plus primaire qui soit : survivre… et cela qu’importe les moyens mis en œuvre. Usant brillamment d’incertitude et d’étrangeté et ne lâchant pas une seule fois la pression et la tension qu’il a installé, l’auteur nous fait vivre de nombreux moments où notre attention reste tendue au maximum telle une corde d'arc à flèches. Vraiment bluffant, un roman sur les agressions hostiles en même temps qu'un hymne à la nature et une critique de l'avancée de l'homme sur celle-ci. Et, bien évidemment, une féroce analyse de la nature humaine...

Jaquette : 15/20

Plus celle du film que celle du livre, elle montre tout le côté inquiétant et incertain de l’aventure.

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