La Horde du Contrevent - Alain Damasio - SF [18]

La Horde du Contrevent
"L'Extrême-Amont"

Sortie : 2004
Editeur : La Volte


Style : 19/20

Chacun se fera évidemment sa propre religion sur la prose de Damasio, certains allant jusqu’à affirmer que le style est simplement pompeux, mais à la rédaction, on est d’avis que le roman est magnifiquement bien écrit. Il s’agit véritablement d’un livre où chaque phrase a son importance et où la ponctuation joue elle-même un rôle (le système de notation du Vent est à cet égard particulièrement bien réussi). Au cours de la lecture, on comprend ainsi très vite que chaque paragraphe est précédé d’un symbole de ponctuation, symbole qui désigne le nom du protagoniste par lequel le lecteur perçoit l’action. En effet, pour narrer son histoire, Alain Damasio donne la parole à différents membres de la fameuse Horde du Contrevent, chacun étant pourvu d'un ton bien particulier. La texture littéraire est du coup constamment changeant, variant au gré des divers narrateurs. Ce style, à la fois particulier et un peu avant-gardiste, est indubitablement une des forces de ce livre, cet assemblage de points de vue illustrant toutes les subtilités de la Horde. 

A la lecture, nul besoin d’être un génie pour comprendre que l’auteur se fait véritablement plaisir au cours des 700 pages qui composent son œuvre, se permettant de mettre sur pied un livre-univers, comme les critiques se plaisent à l’évoquer. Tout un champ sémantique relatif au Vent, le véritable héros de ce livre, est mis sur pied et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en usant de racines littéraires tant grecques, latines que françaises, le vocabulaire inventé par Damasio est plus que convaincant. On rencontre toutes des créations rhétoriques telles que furvent, pharéole et autres Fréoles qui viennent ainsi soutenir tout un monde qui se tient parfaitement et dans lequel on se plonge avec aisance. 

Et s'il n'y avait que ça... Au-delà des critères purement objectifs, il y a quand même toutes ces scènes inoubliables qui frappent véritablement l’esprit et qui propulsent ce roman au firmament. Les interrogations de Sov dans le dernier chapitre, la rencontre entre les membres de la 33ème Horde et ceux qui les ont précédés, le combat de Erg Machaon et puis, ce fameux duel littéraire entre Caracole et Sélimé, au sien de la cité d’Alticcio, sont autant d’exemples d’une maîtrise peu commune de la narration ainsi que de la langue de Molière dans le chef de cet auteur. 

Personnages : 17/20

Le changement de point de vue à chaque paragraphe est un pari audacieux. Et si on peut éprouver quelques difficultés au commencement de la lecture, les symboles désignant les principaux protagonistes sont rapidement assimilés au cours des chapitres qui suivent et le plaisir de la narration en est grandement renforcé. Les personnages de la Horde sont tous forts différents, ont leur manière de penser, de parler et les changements de ton dans la narration permettent, d’une part, d’éviter la redondance dans un récit de plus d’une demi-douzaine de centaines de pages, et, d’autre part, de renforcer le caractère de chacun des membres qui composent cette Horde. Et quels membres ! On passe ainsi de l’irascible Golgoth, chef traceur de cette ribambelle d’adjuvants à Caracole, le troubadour au verbe haut, en passant par Sov, le scribe de la Horde, terriblement pragmatique, sans oublier les inoubliables Oroshi, Erg Machaon et autres Steppe et Aoi. 

Même si certains sont volontairement en retrait, chacun a sa personnalité propre de sorte qu’on ne peut que s’y attacher. On en vient ainsi à véritablement faire partie de la Horde en tant que dernier croc, à l’arrière du Pack, à encaisser les coups de vent en se plaçant derrière les puissants Firost et Pietro, à se plaquer au sol sous les aboiements de Golgoth et à terminer, épuisé, à se faire soigner par Alme au coin d’un vent allumé par Callirhoé. Cerné par ces Hordiers, le lecteur en devient un à part entière. Tout en luttant pour sa vie au cours des divers épreuves qu’il a, lui aussi, à affronter, il s'interroge tout simplement sur la notion d'existence...

Scénario : 16/20

Si le synopsis de cette gigantesque fresque reste banal : une compagnie composé par une vingtaine de membres, qui luttent chaque jour contre les bourrasques de Vent qui frappent sans relâche ce monde-univers, ont été formés pour remonter à la source dudit Vent et découvrir ce qui se cache dans le lieu dénommé Extrême-Amont, on tombe rapidement sous le charme de ce monde-univers qui se laisse progressivement découvrir au fil des pages. Les interactions sont génialement mises en scène et, plus on avance dans la narration, plus on se retrouve plongé intensément dans cet univers de Vent que traverse la Horde.

Le rythme est également savamment dosé. Les premiers chapitres posent progressivement la quête des Hordiers, le Vent et ses nombreuses déclinaisons, ainsi que les manières de lutter contre lui. Petit à petit, l’auteur nous fait découvrir avec davantage d’intensité nos nombreux protagonistes et ajoute, goutte après goutte avec la science d’un chimiste de grande classe, des péripéties et des épreuves sur la longue quête empruntée par ces derniers. Par empathie, on en vient à s’attacher plus encore à ceux-ci pour finalement avaler page par page pour ne manquer aucune miette d’un final haletant, où la vérité, la révélation finale est au bout du chapitre, et où on veut connaître le fin mot de cette histoire diablement envoûtante. 

Note Générale : 18/20

Livre-univers, grand classique… Les superlatifs ne manquent pas pour désigner l’œuvre d’Alain Damasio et il faut bien dire que la plupart des compliments sont dithyrambiques, pour ne pas dire plus. Se lancer dans la lecture d'un tel livre n’est évidemment pas chose aisée. Il faut faire fi de la critique, du bouche-à-oreille, pour se plonger dans la lecture de la manière la plus objective qui soit afin de réellement percevoir l’essence du livre et de pouvoir déterminer avec certitude s’il s’agit d’un classique ou simplement d’un bon bouquin (voire même d’un livre médiocre, ce qui n’est jamais à exclure).

Durant quelques chapitres, on reste ainsi dans la recherche de faute, de probables maladresses ou d’erreurs dans cette fameuse histoire mais la quête à laquelle on s’astreint n’a rien d’une sinécure car l’auteur a vraiment une maîtrise de son sujet et se donne vraiment les moyens pour le rendre obsédant. On remonte (les pages sont numérotées dans l’ordre décroissant) ainsi sans difficulté plus de 700 pages faisant feu de tout bois et s’inspirant ci-et-là sur de nombreuses philosophies (Nietzsche notamment). Même si on anticipe sans grande difficulté la fin de cette tragédie grecque, cela ne gâche en rien la lecture. Que du contraire ! Lorsque même nos protagonistes en viennent à anticiper le dénouement de leur quête, la réflexion commence… et ne s’arrête pas. La Horde du Contrevent devient alors une allégorie puissante. Celle de la vie, de la mort, et de toutes ses contradictions.

Jaquette : 13/20

La Horde qui affronte un furvent. Rien de bien original. Il manque quand même un peu de symbolique dans cette illustration qui reste très classique mais tout de même appréciable.