Etoiles garde à vous - Robert Heinlein - SF [16]

Robert A. Heinlein – Etoiles garde à vous !
« Starship Troopers »

Sortie : Décembre 1959
Editeur : Putnam’s Sons


Style : 16/20

Robert Heinlein, qui semble s’inspirer directement de son passé d’officier dans l’armée américaine, nous retranscrit, au fil des pages, cette ambiance soldatesque avec maestria. Les batailles militaires sont rondement menées, et avec elles, stratégie et tactiques militaires. L’action est décrite à merveille, dans un style précipité sans pour autant qu’il en devienne brouillon ou déstructuré. Mais ce n’est pas sur ce plan, certes parfaitement réussi mais véritablement limité puisqu’une seule bataille est narrée dans son entièreté, que la plume de l’auteur dévoile toutes ses qualités mais plutôt sur l’atmosphère militaire en elle-même. On se retrouve directement dans la peau des fantassins, plongé constamment dans les habitudes et les pratiques militaires, à vivre leur quotidien et cela est terriblement immersif. Au niveau des technologies, on soulignera particulièrement l’«invention» par Heinlein de l’exosquelette, personnalisée par le scaphandre, merveille technologique que chacun des fantassins emporte au combat.

Personnages : 17/20

Interlocuteur privilégié face aux théories avancées par l’auteur lui-même par le biais d’autres personnages essentiellement militaires, Juan Rico est un peu le Candide de l’histoire. Simple troufion parmis les troufions, il n’est rien de plus qu’un petit pion dans l’échiquier de la stratégie militaire interplanétaire et contribue à son appropriation par le lecteur qui va véritablement voir le monde de la Fédération et de ses ennemis, les Arachnides, par ses yeux. On notera à ce titre que la figure de l'ennemi, surtout en temps de guerre, est souvent connotée comme mauvaise, comme le protagoniste qui est en tort et le fait que Heinlein ait représenté celui-ci par des insectes et des araignées, animaux reconnus comme repoussants, n'est pas un choix du hasard. De la même façon que les soldats de notre vingtième siècle, Heinlein rappelle que les soldats auront toujours besoin, même dans les siècles futurs, d'une motivation autre que les arguments rationnels pour aller risquer leur vie. L'appel à l'émotion est aussi vieux que la guerre et tant que durera l'humanité, l'ennemi restera le salaud d'en face.

On retrouve, dans la catégorie psychologique, les instructeurs et particulièrement l’adjudant Zim qui nous montre que c’est par la violence et par les châtiments corporels que l’on devient un homme, ou presque. Durant toute la durée du camp d’entraînement, les idées selon lesquelles on ne peut forcer quelqu’un à faire quelque chose qu’il ne veut pas (comme par exemple, devenir un soldat) et qu’il n’y a rien qui puisse être obtenu sans l’effort ou sans la douleur, servent de fil conducteur aux impératifs des militaires. Ces principes se retrouvent dans la philosophie de quasiment tous les militaires présents dans le livre et plus particulièrement du professeur Dubois, professeur de philosophie et d’histoire de Rico, orateur priviligié de l’auteur lui-même et relais de bon nombre de théories et d’idées jugées subversives (châtiments corporels, discours sécuritaire sur la délinquance, …) pour nombre de lecteurs soit-disant bien-pensants. Ce sont ces mêmes lecteurs qui colleront une image fasciste et militariste peu envieuse au livre.

Or, il faut rétorquer à ces individus que le système militaire avancé par Heinlein est aussi proche des modèles fascistes du XXème siècle que les oiseaux sont proches des poissons. Ce serait plus dans les modèles antiques, comme Sparte, qu’il faudrait rechercher la cohérence d’une telle critique de nos institutions militaires actuelles. De plus, ces diatribes ne sont pas juste jetées à la face du lecteur mais bien étayées par démonstrations et raisonnements, certes peut être pas tous viables mais du moins parfaitement cohérents.

Scénario : 14/20

La moitié du livre est composée par l’instruction et la formation de jeunes recrues dans des camps militaires et c’est sur ce passage que l’auteur insiste lourdement, montrant comment l’armée peut changer une personne. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une critique vis-à-vis de ce genre d’éducation de la part de Robert Heinlein qui la considère comme le processus permettant de faire d’un jeune garçon un homme mais si on lit ce livre au deuxième degré, en se tenant à distance respectable du chemin de pensée tracé par l’auteur, on peut tirer d’intéressantes théories sur cette phase d'apprentissage et sur ce qu’elle apporte aux protagonistes. L’autre moitié du livre se retrouve entrecoupée par des phases de combat, très brèves néanmoins, et des phases de routine militaire, authentiquement dépeintes par la plume de l’auteur.

C’est sur ce contexte de guerre interplanétaire totale et de vie militaire que Heinlein nous propose sa réflexion sur le monde qu’il a créé mais, surtout et avant tout, sur notre propre monde et ses institutions qu’il critique, parfois avec virulence. Ce contexte prête également à la psychologie des protagonistes. En effet, les nombreux affrontements et escarmouches contre les Arachnides, qui s’étendent sur une durée indéterminée, influent inévitablement sur les personnages, sur leurs comportements, leurs habitudes et leurs personnalités, qui deviennent étroitement liés à la notion de guerre. On citera notamment le père de Rico, formellement opposé à l’armée, qui voyant la destruction et la mort, s’y engage pourtant. Les repères en vigueur ne sont donc pas les mêmes que les nôtres pour juger de ce changement de comportement radical.

Note Générale : 16/20

A des années-lumières du film du même nom qui est plus basé sur une surenchère d’effets spéciaux et de scènes gore, le roman est loin d’être un simple bouquin de guerre. Mis au point dans un contexte où il réagissait sur le début de la guerre d’Indochine, sur les dysfonctionnements de l’ONU face à la situation et sur l’impuissance des grosses huiles envoyées sur place et le fossé sans cesse grandissant entre les soldats et les officiers, Robert A. Heinlein, ancien lieutenant de la Navy forcé à la retraite pour cause de tuberculose, attaque à grands coups de couteau la politique de son époque. Mais ces assauts ne sont pas gratuits puisqu’il développe des théories et des raisonnements, notamment sur la délinquance juvénile, les devoirs et les droits (liberté, vie, bonheur) ainsi que sur le suffrage universel, qui méritent d’y accorder, non de l’intérêt mais bien de l’attention.

Si Etoiles garde à vous est le premier livre de Heinlein chez l’éditeur Putnam’s Sons qui est également le premier à lui donner carte blanche, il est également le plus polémique de l’écrivain, pourtant reconnu pour sa grande maîtrise sur nombre de sujets parfois même antagonistes, particulièrement pour sa vision militaire du monde et son anti-communisme profond. C’est vraisemblablement pour ses positions, si affirmées, qu’il s’est vu taxé d’une réputation subversive, à la fois de raciste (alors que le livre narre une société terrienne sans discrimination) et de sexiste (alors que se basant sur une vision de l’armée entre-deux-guerres, il était peu évident d’imaginer une présence féminine abondante dans l’infanterie, et soulignant toutefois la présence de femmes dans l’armée à des postes et des responsabilités souvent élevées) peu évidente à porter pour un auteur de ce talent. En notre humble avis, il serait beaucoup plus judicieux et beaucoup plus cohérent avec la pensée de l’auteur de considérer Etoiles garde à vous sous l’angle du ying et du yang et en conséquent sur l’angle de l’équilibre entre les concepts diamétralement opposés, comme le droit et le devoir ou la responsabilité et la liberté. A ce titre, il convient plus de considérer les positions affirmées par l’écrivain comme une critique des systèmes politiques actuels que comme une allégorie du système militaire. En tout cas, il ne fait nul doute que ce bouquin fait réagir, que ce soit d’une manière ou d’une autre et c’est une des raisons pour laquelle il mérite qu’on s’y penche, et parfois même qu’on s’y attarde.

Jaquette : 15/20

L’accent est mis sur le militaire plutôt que sur les Arachnides, comme cela était le cas dans des éditions précédentes, ce qui ne reflétait malheureusement pas le cœur du propos de l’auteur.